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AUTEUR•E Jean-Pierre Vidit

Les Contes Hoffmann

23/11/2020

Sommaire 5min T+

PSYCHANALYSE ET CRÉATIVITÉ ARTISTIQUE

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Le champagne et ses bulles, la fête et le cancan, le chassé-croisé amoureux entre des couples infidèles… autant de signes accolés, sans vergogne, au compositeur Jacques Offenbach décidément très « léger » tant il semble agiter frénétiquement sa baguette pour faire tourbillonner des hommes en frac et des femmes en crinoline enclins à s’étourdir dans le plaisir sur une musique surchargée d’excitations comblant ainsi le vide.

Pourtant, sous le vernis de ce bonheur un peu forcé et factice, apparaissent les éraflures de la vie, les écailles de la vacuité et, finalement, l’ironie féroce du faux semblant dont, au fond, personne n’est dupe. Il faut, à cette époque, jouer un rôle, être vu et en vue dans une société en pleine mutation : celle du Second Empire. Elle trace vraisemblablement les soubassements de la nôtre : la consommation naissante, l’apparence, l’argent et, surtout, le pouvoir des médias.

Il ressort, manifestement, des pièces légères d’Offenbach une ironie satirique, une peinture acerbe quelques fois acide et désespérante de comportements humains où  chacun peut se reconnaître. Car l’œuvre entière ou telle aria, sont discrètement paradoxales. Elle oppose souvent un texte drôle soutenu par une valse triste ou l’inverse en suintant, de ce fait, un arrière-plan déroutant et mélancolique. On rit, mais l’on est au bord des larmes !

Ainsi, La Vie Parisienne, œuvre légère par excellence dans laquelle le compositeur jette les falbalas antiques pour le costume contemporain trahit, à merveille, son œil aiguisé de moraliste pessimiste. Il  dépeint, par touches, une société qui, peu à peu, abandonne la confiance et les règles morales pour le faux-semblant, les chausse-trappes et la quête effrénée d’un plaisir fugace ou frelaté. La musique légère est à l’exact inverse, en gaité, de la tonalité dramatique des soucis et des inégalités qui peu à peu se creusent entre différentes couches de la société. « Si les maîtres deviennent valets » clame le chœur des domestiques travestis en bourgeois dans le salon de Quimper-Caradec, « qui sera là pour nous servir ?[1] ».

Le rire, alors suscité par des quiproquos cocasses, a pour fonction d’atténuer et d’éroder le sordide, la crudité et la violence de situations où le désespoir, la trahison, la solitude le dispute à l’abandon, à la misère affective ou sociale.

D’autant que le compositeur, lui-même, ressemble de plus en plus aux personnages qu’il met en scène. Exubérance, vitalité et énergie inépuisables, originalité et humour décapants, sens de la répartie et instinct inné de la publicité et du spectaculaire forment un écran de plus en plus opaque autour de lui, rendant sa personnalité profonde presqu’inatteignable. En ce sens, il s’exile de lui-même pour les autres et peut-être pour lui-même qui s’est engoncé dans ce rôle de « roi du Second Empire [2] ».

Jusqu’à ce que, malade et peaufinant la partition des Contes d’Hoffmann, il écrive à sa fille quelques semaines avant sa mort dans une métaphore identificatoire proche de l’Olympia des Contes… : « je crois que le ressort de la poupée est détraqué ».

Car, malgré les succès et la vie trépidante, l’homme est tenaillé par l’échec ou les demi-succès répétitifs connus à chacune de ses tentatives opératiques dans les prestigieuses institutions parisiennes. Lui est finalement refusée la place convoitée au cénacle des compositeurs dits sérieux dont Mozart, dans le panthéon personnel du compositeur, est la figure tutélaire.

Offenbach comme Ulysse se voit déraciné de son pays tranquille et se croit missionné pour de hauts faits. Non par les dieux mais par la volonté d’un père qui lui demande non pas d’assiéger et d’occuper Troie mais d’investir Paris, alors capitale artistique incontournable. C’est l’exil certes. Mais un exil particulier.

Après vingt années de galère où il vivote, Offenbach comme Ulysse, dans deux registres différents, accèdent à l’apothéose [3]. L’odyssée d’Ulysse, rapportée par Homère, qui le ramène, après un voyage peuplé d’embûches et de dangers, à son point de départ – Ithaque – est, comme pour Offenbach, la métaphore d’un exil de soi-même et d’une crise existentielle qui, peu à peu, le ramène au matériau sur lequel s’appuie l’acte créateur : les « cendres de son cœur ».

Ainsi dans le dernier acte des Contes d’Hoffmann, le héros se voit exiger, par la courtisane dont il rétribue les charmes, son reflet comme gage de son attachement indéfectible. Habile artifice d’un librettiste inspiré faisant surgir le fantastique d’un acte vénal banal ? Ou bien action symbolique d’un homme désabusé et prêt à tout – y compris à vendre son âme – comprenant intuitivement l’impasse dans laquelle il s’est fourvoyé.

La perte des forces, la maladie vont soudain confronter le compositeur à la nécessité de reconquérir cette histoire c’est-à-dire ces parts exilées de soi-même, « ces cendres de son cœur » qui, logiquement, font cruellement défaut à son inspiration opératique. Confronté à la mort qui se profile et au désir qu’il a de faire face à cette ultime lever de rideau, dans un dernier sursaut, il va devenir, sous le couvert d’Hoffmann mais sous la plume d’Offenbach, son propre narrateur : c’est-à-dire son aède.

L’histoire d’Hoffmann dont Barbier et Carré avaient tiré une pièce à succès passionna Offenbach à sa création. Grâce aux vers inspiré de Barbier [4], le compositeur s’attèle à trois années d’un travail probablement douloureux. Alors s’exhument les mots pour dire ce que le texte retrouvé de la valse de Zimmer [5], trace mnésique indélébile, mettra à jour de manière plus crue : la douleur de l’abandon, la peur de la mort, les souvenirs et la nostalgie du vert paradis de l’enfance brutalement interrompu.

La Chanson de Kleinzach qui ouvre, sur un mode bouffe léger, le prologue de l’opéra opère une transformation radicale du style d’écriture musicale du compositeur.

Le comique, au service de la description d’un personnage, Kleinzach, proche des caricatures multiples d’Offenbach s’étalant complaisamment dans les colonnes des journaux n’est plus seulement au service de l’effet recherché : le rire.

Le style léger est soudain, mais momentanément, subverti pour laisser apparaître un mouvement d’écriture beaucoup plus dramatique et mélancolique qui laisse s’exprimer les souffrances enfouies où soudain « les ombres chères surgissent ». C’est-à-dire au-delà des images : le sens historique et affectif de cette douleur lancinante mille fois rejetée.

« Je quittais comme un fou la maison paternelle

 Et m’enfuis à travers les vallons et les bois ! »….

« …Et comme notre char emportait sans secousse

Nos cœurs et nos amours, sa voix vibrante et douce

Aux cieux qui l’écoutaient jetait ce chant vainqueur

Dont l’éternel écho résonne dans mon cœur. »

Les Contes d’Hoffmann sont la lente et douloureuse reconquête de ce reflet perdu, patiemment retissé à l’aune d’une fiction, qui, enfin réappropriée, fera apparaître en pleine lumière les blessures qui forment le génie propre d’Offenbach. Il pourra s’asseoir, dignement, dans le cénacle des illustres aînés tant admirés. Cela le réinscrira, du même coup, dans la communauté des hommes.

Lorsque le 10 Février 1881,  le rideau tombe : c’est un triomphe. Posthume puisque le compositeur repose en paix au cimetière de Montmartre depuis quatre mois.

[1] La Vie Parisienne est créée en Octobre 1866 pour l’Exposition Universelle et à 4 ans de la guerre de 1870.

[2] Selon l’expression d’Alain Decaux dans son ouvrage éponyme  de 1970 (Paris, ed. Rombaldi).  Il faut juste préciser qu’Offenbach ne fut jamais l’intime de la famille impériale qui le tenait à une distance prudente et qu’il ne reçut d’elle aucune prébende.

[3] L’apothéose était, dans la tradition grecque le fait de devenir, par la volonté des dieux, immortels.

[4] Michel Carré son co-auteur de la pièce est décédé en 1872.

[5] Il s’agit du texte d’une valse dite Valse de Zimmer du nom de son compositeur que la mère du jeune Jakob lui chantait pour l’endormir et dont il mit plus de vingt années à recouvrer les paroles.

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