Contact

mail@gemini-theme.com
+ 001 0231 123 32

Info

All demo content is for sample purposes only, intended to represent a live site. Please use the RocketLauncher to install an equivalent of the demo, all images will be replaced with sample images.

Comment ne pas évoquer, au moment où elle nous quitte et nous laisse
orphelins de sa voix exceptionnelle, cette confidence de Christa Ludwig qui
affirmait : « Le chant, c’est une métaphore de la vie : on inspire, on expire, le son
arrive sur le souffle, puis c’est fini. »

Née à Berlin le 16 mars 1928, d’un père ténor, metteur en scène et directeur de
l’Opéra d’Aix-la-Chapelle, et d’une mère, mezzo-soprano qui a chanté, dans ce
même lieu, sous la direction d’un Karajan débutant, la jeune Christa n’a jamais
travaillé la technique vocale et chante avec sa voix naturelle des airs d’alto et de
mezzo-soprano, mais « craque », comme elle le dit, tous ses aigus. Son père, encarté
au parti nazi, ne pouvait plus travailler après la défaite de l’Allemagne et sa mère
avait perdu sa voix. Pour survivre dans une Allemagne dévastée, l’adolescente de 17
ans chante pour des officiers américains et chaparde ce qu’elle peut trouver de
comestible pour se nourrir elle et sa famille. Cependant, son père « dénazifié »
obtient la direction du théâtre de Giessen, (Land de la Hesse, au centre-ouest de
l’Allemagne actuelle). Il organise des concerts auxquels participe sa fille, dès
l’automne 1945.

Elle réussit à se faire engager dans la troupe de l’Opéra de Francfort- sur-le-Main,
en septembre 1946, d’abord comme figurante, puis dans de petits rôles
qui l’amèneront à assumer des personnages scéniquement plus importants, comme
celui du Prince Orlovsky dans La Chauve-souris de Johann Strauss. Si elle se tient
naturellement bien en scène, par expérience familiale, elle « craque » toujours ses
aigus, au grand dam du public. Dure mais salutaire école si l’on résiste à l’épreuve.
Après le divorce de ses parents, qui laisse sa mère sans ressources, cette
dernière vient partager la chambre de location de sa fille et, pour subsister, donne des
cours de chant, tout en conseillant Christa qui n’en avait jamais pris.

La cantatrice écrira plus tard, dans ses mémoires, 1 qu’elle doit sa carrière à sa mère,
car elle lui « a enseigné la discipline, l’acharnement, l’application, la confiance en soi ».
Tirant sa force de sa foi, elle enseignai à sa fille qu’ayant reçu son talent de Dieu, son devoir
était « de transformer la cantatrice [qu’elle était] en véritable artiste pour donner de la
joie à l’humanité. » Présente à toutes les répétitions et représentations de sa fille, cette
dernière la perçoit comme son gourou, ce qui ne manqua pas d’avoir des
conséquences sur sa vie privée. Cette relation fusionnelle mit en péril ses deux
mariages. 2 Quand elle comprend que le second risque de tourner court à cause de
cette relation fusionnelle, sans rompre avec sa mère, Christa s’en éloigne, non sans
remords. Épisode douloureux qui illustre les sacrifices qu’exige la carrière de grands
solistes.

Grâce au directeur de la musique classique de la radio de Francfort qui lui fait
chanter des lieder, Christa apprend à mettre en valeur la beauté d’une partition en
s’appuyant sur la musique mais aussi sur la sonorité des mots. Les compositeurs
classiques étant destinés aux artistes déjà connus, on lui réserve les œuvres
contemporaines, ce qui a pour effet d’éveiller rapidement l’attention des critiques
musicaux à son égard.

Cependant, elle va choisir de partir, en 1952, pour l’opéra de Darmstadt où le
metteur en scène Harro Dicks développe une synthèse, dite de Darmstadt, entre la
musique, le geste et le mot. C’est-à-dire qu’elle ne se contente pas d’être une
chanteuse, elle devient une interprète au sens plein du terme. En 1954, elle intègre le
Staatsoper de Hanovre, où elle fera deux saisons (1954-1955). Elle a l’occasion de se
produire, dès 1954, pour la première fois au Festival de Salzbourg (où elle reviendra
pendant plus de trente ans), dans le rôle de Chérubin des Noces de Figaro, puis dans
le Compositeur d’Ariane à Naxos, sous la direction de Karl Böhm. Le chef, qui avait
un fils du même âge qu’elle, 3 la prend sous sa protection et la propulse sur les rails
d’une carrière internationale. Il l’engage à l’Opéra de Vienne dont elle intègre, en
1955, la troupe du Staatsoper. Elle en devient rapidement l'une des principales
artistes, comme le prouve sa nomination, en 1962, au titre honorifique de
Kammersängerin.

Dès le début, elle fait partie d’un ensemble de chanteurs mozartiens très
réputés ;Irmgard Seefried, Sena jurinac, Paul Schöffler, Erich Kunz. Elle découvre
aussi la beauté et l’élégance du phrasé et de la sonorité du Philharmonique de Vienne.
L’exposition médiatique que procurent le Staatsoper et le Festival de Salzbourg lui
ouvre l’accès aux plus grandes scènes : dès 1959, elle chante la Dorabella de Cosi fan
tutte à Chicago ; Chérubin au Metropolitan de New-York où elle se produira jusqu’en
1990 ; en 1966, le festival de Bayreuth l’accueille dans la Brangäne de Tristan et
Isolde, comme le Covent Garden de Londres, en 1966, pour l’Amneris d’Aïda.

En effet, celle qui « craquait » toutes ses notes aiguës à ses débuts, à force de
travail, peut se permettre de chanter des rôles de mezzo-soprano lyrique : Carmen (en
allemand), Kundry (Parsifal), Ortrud (Parsifal), Ulrica (Le Bal masqué), Eboli (Don
Carlo), Ottavia (Le Couronnement de Poppée), Didon (Les Troyens), Dalila (Samson
et Dalila), Clytemnestre (Elektra). Voire de soprano dramatique : Iphigénie
(Iphigénie en Aulide), Leonore (Fidelio), Lady Macbeth, Ariadne (Ariadne auf
Naxos), la Teinturière (La Femme sans ombre), La Maréchale, après avoir
magnifiquement incarné le Chevalier (Le Chevalier à la Rose), Vénus (Tannahäuser).
Elle chante parfaitement en allemand, italien, français, anglais.

Elle interprète des auteurs contemporains comme Carl Orff et Rolf Liebermann,
des lieder (Schubert, Schumann, Brahms, Wolf, Malher, Strauss), des messes et des
œuvres symphoniques (Neuvième symphonie de Beethoven, Missa solemnis, Fidelio) et la
Vieille dans le Candide de Leonard Bernstein !

Sa discographie - largement disponible car la plupart de ces enregistrements
sont devenus des classiques avec des distributions très homogènes - est à l’image de
sa carrière scénique, immense : elle couvre non seulement plusieurs siècles mais de
plus, il est difficile de la prendre en défaut, qu’il s’agisse de la perfection du style ou
de la qualité de la voix. Elle a enregistré (chez DGG, EMI, DECCA), sous la
direction des plus grands chefs de la deuxième moitié du XXe siècle : Böhm,
Karajan, Klemperer, Knappertsbusch, Solti, Kempe, Giulini, Bernstein, Davis,
Levine. Elle sera la partenaire de Maria Callas et de Franco Corelli en incarnant
Adalgisa dans la fameuse Norma gravée à la Scala en septembre 1960, sous la
direction de Tullio Serafin pour EMI.

Que dire en conclusion, sinon qu’une telle réussite prend racine dans une
adolescence bousculée par la guerre, dans une famille qui a baignée dans la musique
mais qui s’est brisée : l’art l’a sauvée de la désespérance et sa volonté lui a permis de
construire une carrière où la probité à l’égard des compositeurs, de ses collègues
comme des musiciens avec lesquels elle a travaillé et pour son public, illuminera
encore longtemps l’esprit et le cœur des mélomanes.

Danielle PISTER
Vice-présidente du Cercle Lyrique de Metz

____________________________________________________________________________________________

1 Christa Ludwig, Ma Voix et moi, Les Belles Lettres/ Archimbaud, 1996. L’original en allemand a paru sous le titre
… und ich wäre so gern Primadonna gewesen, en 1994.

2 Son premier mariage (1957 - 1970) avec le grand baryton Walter Berry, père de son fils unique, se solda
par un divorce. Elle épouse en 1972, en secondes noces, le comédien et metteur en scène français Paul-Émile
Deiber (1925-2011). Alors qu’elle vivait en France avec ce dernier, elle s’installe en Autriche après son veuvage.

3 Karlheinz Böhm, rendu célèbre par sa participation à la série des Sissi aux côtés de Romy Schneider.

____________________________________________________________________________________________